Nous aurions dû voir Le Cercle et L’Onde, mais suite à la blessure d’un des interprètes, nous avons vu Le Cri et L’Onde : l’occasion d’embrasser un chemin artistique construit entre 2008, où Nacera Belaza remporte le prix de la révélation chorégraphique pour sa pièce Le Cri créée avec sa sœur Dalila Belaza, et 2020. Un parcours que Nacera Belaza définit selon les caractéristiques de la ligne droite, car “La ligne qui relie deux points est nécessairement tendue, sans répit. Une seule et même intention que l’on répète inlassablement, et c’est sur soi que l’on œuvre en réalité” puisque “je crois qu’un artiste pourrait se consacrer à une seule pièce toute sa vie car elle est à ce point perfectible. Ce serait le plus juste.” (Nacera Belaza)

Le Cri – 2008
Comme à son habitude (comme à son obsession), Nacera Belaza travaille la pénombre, le visible et l’invisible : ce que l’on voit, ce que l’on croit voir et ce que l’on devine.
Parmi des voix d’enfants, on entend comme une berceuse, une ligne musicale courte, répétée comme l’on fredonne sans y prêter attention. Le fredonnement se fait phrase, sorte de mantra coranique. Les cris d’enfants disparaissent, un air de jazz -piano et voix féminine- émerge. Nacera et Dalila Belaza balancent légèrement leurs bras grands ouverts ; le haut de leur corps dessine une ondulation décrivant le signe de l’infini ∞, tandis que le bas de leur corps, lui, est indétrônablement ancré sur ses appuis. Le mouvement de leur corps s’amplifie, tanguant sur leur axe, pris dans l’élan des bras, comme deux derviches dont les pieds seraient cloués au sol. L’air fredonné se distingue enfin, c’est la voix de Larbi Bestam, rebouclée autour d’une phrase issue de la tradition diwane, rituel thérapeutique soufi pratiqué en Algérie par les populations d’origine subsaharienne, où les chants et les rythmes guident vers le Hal (la plénitude) et la Jedba (la transe). Les visages expriment la plénitude, les yeux sont clos, un sourire affleure parfois : on est au seuil de la béatitude.
La danse est continue, traversant la voix de la Callas et celle de Emy Winehouse, l’ouverture de la Traviata de Verdi et Black Is The Color Of My True Love’s Hair de Nina Simone.
Il y a une explosion qui ne demande qu’à s’exprimer, mais qui manque de place, un cri situé au bord, et qui suspend le climax indéfiniment. Ascétique, il n’y aura pas d’assouvissement, pas de cri, pas de retombée, seulement le temps qui se dilate autour de cette ultime seconde, dialectique, entre le vide et le plein qui constituent le désir. Le plaisir, dès lors, se situe sur le fil tendu entre l’ascèse et le désir, entre la précision et l’abandon.
Comme venues du fin fond de l’espace ou de la mémoire, Nacera et Dalila Belaza figurent une lointaine image et un profond désir spirituel de danse. La lumière ne laisse voir ni les murs latéraux ni le mur du fond, les corps sont noyés dans la pénombre. Le repère au sol de l’avant-scène, légèrement phosphorescent, a des allures de Punctum, désignant le bord du précipice autant que le centre de l’image dans laquelle nous ne sommes pas intégrés, mais dont nous nous sentons les énonciateurs… Nous laissant envahir, nous devenons les énonciateurs d’une mémoire qui ne nous appartient pas, et qui pourtant se fait nôtre : Du plus loin qui m’en souvienne, j’ai toujours dansé…

L’Onde – 2020
Comme Le Cri, que Nacera Belaza considère comme une pièce “manifeste”, L’Onde explore les limites de notre rétine. Le travail sonore se compose en magma, les corps engagent d’amples mouvements perpétuels en spirale, la lumière sculpte le plateau et les corps. Avec L’Onde, Nacera Belaza poursuit son travail autour du rituel, plongeant les corps dans le paradoxe d’un abandon qui ne lâche pas. Le mouvement naît du balancement des bras, de l’ondulation des épaules. Néanmoins, les corps indéracinables du Cri sont à présent mobiles sur leur axe et dans l’espace. La danse s’écrit sur la quête de la verticalité, organisant le mouvement du balancement à l’ondulation et de l’ondulation ou tournoiement.
Nacera Belaza creuse ses préoccupations : la transe rituelle tournoie sur elle-même, le travail musical est tiré jusqu’à l’abstraction, le travail de lumière souligne l’obscurité dans laquelle le plateau est plongé et structure les conditions d’apparition des corps.
Comme toujours, c’est Nacera Belaza qui signe la création lumière. Pour cette pièce, elle enrichit significativement le vocabulaire de cette relation corps/plateau grâce à la lumière : la lumière isole, multiplie, révèle, cache…
La lumière sculpte les corps. Habillés de noir, isolant le visage et les mains, transformant la réflexion de la peau en autant de sources lumineuses, la lumière devient écho et le corps se fait torche dansant dans la nuit. En contre-jour, le corps se fait ombre. La lumière diffracte également le plateau dans une sorte de kaléidoscope : les corps se font variation.
La lumière approfondit le champ des possibles. Le travail sur le lointain, juxtaposé à une présence plus proche, singularise les corps. L’avant-scène se fait loupe, l’arrière-scène se fait paysage, lointain miroir, donnant l’illusion de ne pas partager la même continuité spatio-temporelle.
De l’onde sinusoïdale d’un son sifflant en continu à la forme d’onde qui s’éloigne et s’évanouit à la surface réfléchissante de l’eau, Nacera Belaza travaille au corps l’espace-temps comme forme a priori de notre perception, et modèle ainsi à sa main la surface de notre sensibilité.
Marie Reverdy
Le Cri (2008)
Chorégraphie, Conception son et lumière : Nacera Belaza
Interprètes : Dalila Belaza, Nacera Belaza
Régie lumière et son : Christophe Renaud
Production : Compagnie Nacera Belaza
Coproduction : Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis, Le Forum Scène conventionnée de Blanc-Mesnil, AARC (Agence Algérienne pour le rayonnement culturel – Ministère Algérien de la Culture), Ambassade de France en Algérie, Centre de développement chorégraphique / Biennale nationale de danse du Val- de-Marne (accueil studio), Centre chorégraphique national de Caen – Basse-Normandie (accueil studio), Centre chorégraphique national de Créteil – Val-de-Marne (accueil studio)
Prêt de studio : Centre national de la Danse – Pantin, EMA (Ecoles Municipales Artistiques de Vitry-sur-Seine), Cité Internationale des Arts
Avec le soutien de : Région Ile-de-France, DRAC Ile-de-France – Ministère de la Culture et de la Communication, Conseil général de la Seine-Saint-Denis, Association Beaumarchais, CulturesFrance – Ministère des Affaires étrangères et Onda (aide à la diffusion)
L’Onde (2020)
Chorégraphie, conception son et lumière : Nacera Belaza
Avec : Nacera Belaza, Aurélie Berland, Magdalena Hylak, Mohammed Ech Charquaouy, Paulin Banc
Régie générale : Christophe Renaud
Production : Compagnie Nacera Belaza
Coproduction : Kunstenfestivaldesarts, Charleroi danse, centre chorégraphique de Wallonie – Bruxelles, Festival de Marseille, deSingel, Campus International des Arts, MC93
Bobigny; LUMA Foundation, ICI—Centre chorégraphique national Montpellier – Occitanie / Direction Christian Rizzo, dans le cadre du programme résidences de recherche et de
création, L’Arsenal- Cité musicale-Metz, Atelier de Paris / CDCN
La compagnie a bénéficié du soutien et de l’accueil en résidence de la fondation LUMA – Arles, ainsi que du soutien de la Région Ile-de-France, dans le cadre du dispositif d’aide à
la création. – Soutiens SACD dans le cadre du programme duo, Institut français – Ville de Paris, SPEDIDAM.
Accueils en résidence , ICI—CCN de Montpellier – Occitanie / Direction Christian Rizzo, dans le cadre du programme résidences de recherche et de création, deSingel, Campus
International des Arts; MC93 – Bobigny; Parc des Ateliers, LUMA-Arles; Atelier de Paris / CDCN
Mise à disposition de plateau Points-communs, nouvelle scène nationale de Cergy/ Val d’Oise.