Rive, Dalila Belaza – Montpellier Danse

On l’avait vu dans Le Cri, lors du Montpellier Danse 42, auprès de sa sœur Nacera Belaza. On la retrouve aujourd’hui avec Rive, pour 10 interprètes dont elle. Dalila Belaza continue d’arpenter la mémoire et la forme des espaces intérieurs, dans la lignée du travail qu’elle menait avec sa sœur Nacera Belaza. On retrouve ce qui fonde leur identité commune : la pénombre, la mémoire, la dimension spirituelle de la danse, entre transe et ascèse, et un travail sonore qui enveloppe et emporte le plateau...

Rive, Dalila Belaza – Hiya Compagnie © Luca Ianelli

Le projet est né d’une commande : « Je n’avais jamais eu cette ambition de créer ma propre compagnie, explique-t-elle à Nathalie Becquet pour Montpellier Danse, c’est une convergence d’évènements qui m’a poussée à créer il y a peu la compagnie Hiya. » Invitée en 2019 comme artiste associée à une exposition dans le cadre du Siècle Soulages à Rodez afin de créer des performances, Dalila Belaza a creusé la question de l’archive et est partie à la rencontre des acteurices du territoire. De là est née la collaboration avec le groupe de danses traditionnelles aveyronnaises Lous Castelous (orthographie française des Castelos occitans), et la pièce Au Coeur. « Le projet a pris une telle envergure que j’ai dû créer la compagnie Hiya pour y développer pleinement mes projets et prendre à bras-le-corps mes propres questionnements ».

Dalila Belaza est « imbibée » du chemin parcouru avec Nacera Belaza. Quittant la rive de cette collaboration, la rencontre faite avec Lous Castelous « marque le début d’une autre aventure en danse ». Rive se situe sur le seuil de ce tournant professionnel, entre « altérité totale » de la tradition aveyronnaise, et « écho au cheminement que j’ai avec ma propre sœur Nacera ». D’un côté comme de l’autre, il est question de la mémoire des corps… 

Rive / « Création »

Le plateau est plongé dans l’obscurité. Dalila Belaza traverse la scène, de jardin à cour, dans cette danse solide, ancrée, vacillante et tournoyante qui la caractérise depuis ses années de collaboration artistique avec sa soeur Nacera Belaza. Dalila Belaza avance dans le faisceau d’un couloir tracé par une légère lumière froide. Ce faisceau, situé à l’avant-scène, s’éloigne un peu vers le fond, lentement, revient, repart, dans un mouvement ralenti de vagues sur la rive de la salle, un soir de mer calme. Méditatif… Dalila Belaza parcourt cette rive, ce seuil, et nous sentons que quelque chose habite au loin, sur l’autre rive. Dans son recul, la vague laisse deviner, puis apparaître, 9 corps vêtus de noir. A l’instar de la vague et du faisceau, les 9 interprètes se déplacent comme on glisse, dans la verticalité et la rapidité des corps de danseureuses de bourrée.

Traversant la lumière comme on passe la rampe, Dalila Belaza fait la jonction : d’une rive à l’autre, d’une obscurité à l’autre. Nous pénétrons peu à peu dans les terres du nord de la Méditerranée. Dalila Belaza disparaît, tandis que la ligne lumineuse enfle et recouvre le plateau de sa faible lumière.

Comme dans Le Cri, il y a toujours quelque chose qui naît du vide, de la mémoire et du lointain : un mouvement, un rythme, une musique. Le pas de bourrée, que Dalila Belaza avait exploré dans sa précédente création, Au Cœur, avec le groupe Lous Castelous, structure le rythme et le plateau : de la ligne au cercle et du cercle à la ligne. Percussif, le pas de bourrée apparaît peu à peu, dans une forme spectrale, dans une forme de presqu’image. Il se déconstruit, se reforme, se déforme, se transforme, se re-reforme, etc. Il naît de la transe soufi à qui il donne naissance et inversement, dans un jeu de perpétuel morphing. Pour Rive, les danses rituelles se font rythme, motif, abstraction.

Rive, Dalila Belaza – Hiya Compagnie © Luca Ianelli

Dans le magma de la mémoire, les danses traditionnelles habitent les corps : vague réminiscence, affleurement, structure sociale… On pourrait dire, dans une formule à peu près nietzschéenne, que “ça danse à travers les corps” : il faut bien que les corps soient paysages pour qu’ils puissent accueillir la danse…

Comme dans Le Cri, la pénombre esquisse l’image sans jamais la laisser advenir tout à fait. Ce geste iconoclaste qui altère la vision, attise la question du faire-image : plus l’image semble fragile, plus elle persiste et s’entête… Tout se passe comme si la scène figurait la représentation intérieure de Dalila Belaza : “je me vois, je vois”, bien plus que “cela est”… On ne saurait embrasser l’image évanescente qui naît dans le noir profond d’un espace mental, avec ce qu’il y a d’inquiétudes, de musiques tournoyantes aux contours des parois de la boîte crânienne, de phrases qui se répètent, de vagabondages et d’obsessions. Et il est un fait, c’est qu’on ne saurait, non plus, en sortir… de là l’hypnose…

Ce qui compte, pour Dalila Belaza, c’est d’interroger « l’identité au présent» et de « trouver un nouvel ancrage qui ne se relie pas qu’au passé ». Et ce qui vaut pour la bourrée aubergnate, vaut pour le nouvel envol de la chorégraphe. Sur ce seuil d’une danse à l’autre, d’une rive à l’autre, d’un temps à l’autre, le geste de Dalila Belaza se saisit dans le corps-mémoire, dans le corps-palimpseste, dans le corps-présent. Un présent perpétuel qui échappe au temps et au devenir, stagnant comme une mer calme, et aboli comme la tour de Nerval.

Marie Reverdy

Direction artistique et chorégraphie : Dalila Belaza

Avec : Karima Al Amrani, Jamil Attar, Paulin Banc, Dalila Belaza, Erica Bravini, Louis Chevalier, Elsa Dumontel, Léa Ferac-Pourias, Andrès Garcia Martinez, Dovydas Strimaitis

Régisseuse lumière : Sabine Charreire / Régisseur son : Solal Mazeran

Production : Hiya compagnie – association jour / Coproduction : Festival Montpellier Danse 2023, Théâtre de la Ville – Paris, Charleroi Danse / et dans le cadre de l’accueil studio : CCN 2 Grenoble, CNDC Angers / Avec le soutien de la Briqueterie CDCN Val-de-Marne, CCN – Ballet de National de Marseille, Centre national de la danse CND – Pantin

Pour cette création, Dalila Belaza a été accueillie en résidence à l’Agora, cité internationale de la danse avec le soutien de la Fondation BNP Paribas

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