Un Hamlet de moins – Nathalie Garraud et Olivier Saccomano

Dans “Un Manifeste de moins” qui accompagne la publication de l’adaptation de Richard III de Shakespeare par Carmelo Bene, Gilles Deleuze évoque le littérature mineure, concept qu’il avait développé, avec Félix Guattari, à partir de la littérature de Kafka.
Minorer Hamlet, c’est poursuivre la quête de la perte de sens, jusqu’à l’errance de la langue , de répétitions en répétitions ; l’errance des corps coincés à la limite du monde ; l’errance du monde lui-même, qui s’émiette de scroll en scroll.

Hamlet à l’impératif ! – Olivier Py

À la fin, il n’y a plus ni père, ni fils, ni descendance. C’est la fin d’une lignée, la fin d’un règne, la fin d’un système politique. Hamlet mourant donne sa voix à Fortinbras pour que celui-ci soit élu roi du Danemark, instaurant ainsi un ordre politique nouveau, l’inclusion du système électif au sein de la monarchie : un temps de l’Histoire remis dans de nouveaux gonds. Il aura fallu apprendre à mourir pour que quelque chose de nouveau puisse enfin advenir. Hamlet se suicide, il suicide sa mère, il suicide Laërte, il suicide Ophélie. Hamlet suicide la monde.

Comment Dire..? Koffi Kwahulé

Comment dire..? est une émission créée en partenariat avec le département des Etudes Théâtrales de l’Université Paul Valéry Montpellier 3 et FMplus. L’émission suit le séminaire Ecritures et scènes décoloniales, organisé par Pénélope Dechaufour, qui s’est tenu à La Baignoire, lieu dédié aux écritures en travail. Cette première émission est consacrée à Koffi Kwahulé.

Mes Jambes, si vous saviez, quelle fumée… Pierre Molinier par Bruno Geslin

Si un bout de Pierre Molinier est parti avec sa sœur ce jour-là, quelque chose, également, est né. Le mythe fondateur, c’est un peu comme le plan d’immanence chez Deleuze et Guattari : cela nait bien de quelque part, mais cela se positionne comme ayant fondé ce qui lui a donné naissance. En ce sens, le mythe fondateur échappe à la linéarité du temps, et le personnage mythique, ce faisant, échappe à la mort… On pourra dire qu’il aura réussi, le bougre, à se donner la mort et à y échapper.

Théorème/(s) – Le film de Pasolini, le roman de Pasolini, la pièce de Pierre Maillet

C’est par le corps que la révélation adviendra. Le corps désirant, le corps érotique, le corps sentant, le corps intuitif. Ce corps qui est, comme dirait Nietzsche, “une grande raison” et dont la production existentielle, pourtant, échappe à toute forme de rationalisation. C’est ce corps que je jette dans la lutte, c’est par ce corps que je comprends bien plus que je ne connais, que je suis saisie plus que je ne saisis, c’est avec ce corps que j’embrasse le monde, que je fornique avec lui jusqu’à atteindre, comme un orgasme, le dernier soupir qui me ravit toute entière… C’est parce que je suis un corps solide que je peux connaitre le mouvement de me dissoudre.

Israel Galván, La Consagración De La Primavera – Montpellier Danse

Le Sacre du printemps se structure autour du толчок (toltshock) qu’il faudrait traduire par “choc”, “secousse”, mais également par “poussée”, “impulsion”. Ce célèbre accord толчок sera répété plus de deux cents fois dans la partition du Sacre. Dans une poussée quasi volcanique, les accents, irréguliers, semblent éructer au hasard. Le corps-percussion d’Israel Galván, de zapateado en zapateado, sur gravier, tambour, bois, génère, pour notre œil, une inépuisable poussée dans le désir de voir.

Encantado de Lia Rodrigues – Montpellier Danse / Théâtre de la Vignette

Le processus d’individuation ne renonce jamais à l’harmonie corps/environnement, bien au contraire, l’individu émane du paysage sans jamais s’en séparer. C’est dans le jeu, aux deux sens du terme, de cette relation qu’adviennent les Encantados.

Umwelt de Maguy Marin au théâtre des 13 vents – CDN de Montpellier,

« Nous en sommes là.
A jouer du possible sans le réaliser.
A aller jusqu’à l’épuisement des possibilités.
Un épuisement qui renonce à tout ordre de préférence et à toute organisation de but ou de
signification. »
A considérer les quelques lignes de la feuille de salle, on voit poindre les lectures de lectures qui ont présidées à la pièce Umwelt : on reconnait clairement Deleuze lisant Beckett après avoir lu Spinoza, dans son texte intitulé L’Epuisé.

La Cerisaie / 桜の園 de Tchekhov, par Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou

Le serf s’affranchit et le propriétaire sombre, sa décadence réside dans l’oisiveté, lui faisant perdre tout corps à corps avec la nature, avec les éléments, avec la matière, avec la vie… “Imaginez, Ania : votre grand-père, votre arrière-grand-père, tous vos ancêtres possédaient des esclaves, ils possédaient des âmes vivantes… Posséder des âmes vivantes – mais cela vous a dégénérés, vous tous, vivants ou morts, si bien que votre mère, vous, votre oncle, vous ne voyez même plus que vous vivez de dettes, sur le compte des autres, le compte de ces gens que vous laissez à peine entrer dans votre vestibule…”

Gênes 21 / Gênes 01 de Fausto Paravidino – Théâtre de la Vignette / Acetone Cie

Et on se souvient, que derrière ce ridicule qui nous avait fait sourire, il y avait le pathétique d’une situation qui nous glaçait le sang, car ces images nous montraient que notre monde avait changé de registre, et qu’il était passé de l’épique à la farce. Comme le dit Schopenhauer, “on dirait que la fatalité veut, dans notre existence, compléter la torture par la dérision ; elle y met toutes les douleurs de la tragédie, mais, pour ne pas nous laisser au moins la dignité du personnage tragique, elle nous réduit, dans les détails de la vie, au rôle du bouffon » et je crois qu’il convient de nommer ce phénomène par le terme “humiliation”…