Ce quarantième festival Montpellier Danse était annoncé, au printemps, sous les auspices du « voir et revoir » … Mais l’année 2020 passant par-là, il aurait pu s’intituler « Jamais vu » … Adjoint d’un « Bis non repetita », Montpellier Danse tient bon et se fait automnal.
Arriver, sous la pluie, masquée, dans un théâtre sans bar, bien plus vide que d’habitude, se déchirer son billet tout seul comme en libre-service, s’asseoir éloignée d’un siège sur deux, il y avait de quoi y aller à reculons. Et pourtant on m’avait prévenue : « c’est surprenant tu verras, comme ça fait du bien de voir un spectacle » … Et c’est vrai : on finit par oublier que l’on porte un masque, un siège sur deux ça laisse de la marge, et une fois assise dans la salle, seule l’œuvre et son saisissement comptent : le noir se fait « si vite »…
« So Schnell » – Dominique Bagouet / Catherine Legrand (re-création)

Epurée des signes les plus marqués du passé d’où elle renaît, notamment la scénographie et les costumes, « So Schnell » retrouve le geste chorégraphique qui a présidé à sa création originelle. Qui, mieux que Catherine Legrand, pouvait se prêter à l’exercice 30 ans après ? Malheureusement, nous avons été nombreux à ne pas pouvoir nous y rendre… Il faudra attendre la saison prochaine pour la voir, ou revoir, dans la programmation de Montpellier Danse. C’est une règle de nos désirs scopiques : il faut savoir différer le plaisir…
« Moment of Young People » – Raimund Hoghe (reprise)

Encore une affaire de temps qui passe « si vite », trop vite… Lors de l’édition du Festival Montpellier Danse de 2004, Raimund Hoghe avait créé une pièce pour douze jeunes danseurs amateurs et professionnels, intitulée Young People Old Voices. Aujourd’hui ces vieilles voix, éternelles, celles de Léo Ferré, Jacques Brel ou Dalida, restent mais le casting, lui, a changé. En 2004, ces 12 jeunes danseurs de France et du Portugal venaient à peine de naître, aujourd’hui, ils partagent le plateau avec Raimund Hoghe pour ce « Moment of Young People » créée à Porto en 2018. Le prénom de chaque interprète est égrainé par le chorégraphe seul sur le plateau. Un par un, les danseurs entrent et se placent à l’avant-scène. Dans un traitement cyclique du temps, rempli d’épisodes de décompte, celui du tempo ou de la clepsydre, Raimund Hoghe évoque la tension de l’éternel retour. De la ligne frontale des danseurs en avant-scène en passant par les jeux d’enfants, la séduction adolescente, la contrainte scolaire et la sensation, en creux, d’un sacre du printemps, « Moment of Young People » déploie un rythme lent et continu avant de se clore par un retour vers l’avant-scène remplie des chaussures vides des interprètes, abandonnées entre temps, et qui attendent d’être à nouveau habitées. Malgré la nostalgie de la proposition peuplée des musiques de Léo Ferré (« Avec le temps va tout s’en va ») ou de Jacques Brel (« Mon enfance passa »), il s’agit bel et bien d’une œuvre à la force vive, celle de la jeunesse, de l’éternel retour nietzschéen, du cycle qui veut que chaque mort annonce une vie nouvelle… Même si, la lumière s’éteignant avant que l’objectif de repeupler les paires de chaussures ne soit atteint, nous savons que cette vie nouvelle ne sera pas une résurrection, ni le retour du même…
« Wilder Shores » – Michèle Murray (création)

Le titre est inspiré d’un tableau de Cy Twombly « The Wilder Shores of Love / Les rives les plus sauvages de l’amour ». Michèle Murray, pour cette création, extrait les rives sauvages de leur frontière amoureuse pour explorer celles des corps, de l’espace, du mouvement. Ils devaient être 6 danseurs, ils étaient 7. Sur le plateau, les interprètes semblent se mouvoir comme autant de particules issues d’un big bang sans explosion préalable ; en orbite, en collision, en suspension, en attraction, etc. Dans un espace quasi pur, pour ne pas dire cosmique, des esquisses de narrations dialoguent avec l’abstraction qui en découle et à laquelle elles retournent. La musique créée au plateau par Gerome Nox augmente, progressivement, en intensité, en volume, en densité. Les trajectoires s’organisent et se désorganisent avant que les danseurs ne quittent le plateau pour nous laisser face au vide. La lumière change encore, quelques fois, nous indiquant qu’il y a quelque chose à regarder. Alors nous regardons l’espace, pendant 4 minutes 33 peut-être, avant que deux danseurs ne reviennent pour un duo épuré étonnamment sensuel, procédant par succession de portés et de pauses. Quatre autres danseurs entrent à leur tour. Le duo initial se sépare et les corps rejoignent d’autres corps, d’autres rivages… L’entropie de la première partie se clôt sur la cohabitation de trois duos, dont les mouvements sont structurellement identiques, rappelant l’humanité originelle décrite par Platon. Une humanité sexuée mais non genrée ; celle des gens de la terre, composés d’un corps masculin et d’un corps féminin, celle des gens du soleil, composés de deux corps masculins, celle des gens de la lune, composés de deux corps féminins…
Beau début de festival automnal, et réjouissante édition 40 bis non repetita, car, comme l’écrit Michaël Delafosse dans l’édito du programme : « Nous ne sommes sûrs de rien mais faisons le choix d’aller de l’avant »… Pour retrouver, enfin, le chemin des salles.
Marie Reverdy
Voir le programme de l’édition 40 Bis sur le site de Montpellier Danse