Dans le cadre de la saison de Montpellier Danse, Catherine Legrand nous invite à voir, ou revoir, la dernière œuvre de Dominique Bagouet, « So Schnell », pour laquelle elle avait été interprète. « So Schnell » est la dernière oeuvre de Dominique Bagouet. Elle a été créée en 1990 à l’occasion de l’inauguration de l’opéra Berlioz à Montpellier. Dominique Bagouet la reprend en 1992 et apporte quelques modifications. C’est à partir de cette seconde version que Catherine Legrand nous propose une re-création de cette pièce historique, celle qui fut la première à inaugurer l’entrée de la danse contemporaine française à l’Opéra Garnier.

« So Schnell » a été présentée, pour la première fois, dans le 40ème festival Montpellier Danse, sous l’égide du Voir et du Revoir. Pour cette re-création, la question reste ouverte. S’agit-il de la donner à voir ou revoir la pièce, à l’identique, telle qu’elle a été créée par Dominique Bagouet en 1990 puis 1992 ? Une sorte de photographie d’un passé regretté ? Ou bien s’agit-il, plutôt, de donner à voir ou revoir cette pièce comme si elle venait de naître, dans notre monde 2020 ? Catherine Legrand, ancienne danseuse de Dominique Bagouet, a choisi, sans rien changer de la chorégraphie originale, de donner à voir « So Schnell » dans son étonnante actualité.
Le silence, la cantate et le bruit de la machine
Tout commence par un duo dans le silence, un silence rempli des bruits issus du plateau et issus de la salle : le bruit des pas des deux danseuses de ce prologue, une porte laissant entrer un spectateur retardataire, un raclement de gorge… Nous le savons depuis 4’33 de John Cage, le silence n’est jamais tout à fait silence, et le chercher offre à attendre les bruits familiers sous un jour nouveau, celui de leurs considérations esthétiques. Le ressac métallique des machines à tricot enregistrées dans la bonneterie familiale fait suite, autre bruit familier pour Dominique Bagouet, celui de son enfance. Cette composition électroacoustique, intitulée « Jack Art Song » est signée par Laurent Gachet.
Et dans cette agitation sonore, la cantate de Bac BWV 26 de J.S. Bach : « Ach wie flüchtig, Ach wie nichtig » qu’il faudrait traduire par « Oh combien fugace, oh combien vaine » s’élève, comme une « fleur du mal » cherchant la lumière.
Ach wie flüchtig, ach wie nichtig
Hélas, combien fugaces, oh combien vaines
Sind der Menschen Sachen!
Sont les choses humaines!
Alles, alles, was wir sehen,
Tout, absolument tout ce que nous voyons
Das muss fallen und vergehen.
Doit s’abîmer et disparaître.
« Oh combien fugace, oh combien vaine » et pourtant débordante, pourrions-nous rajouter.
L’angoisse, la joie et le fourmillement
Epurant les signes les plus marqués du passé d’où l’œuvre renaît, notamment la scénographie et les costumes, Catherine Legrand se concentre sur la chorégraphie de Dominique Bagouet, précise et fourmillante. Entre la prolifération des trajectoires, la démultiplication des compositions et décompositions du plateau, les variations rythmiques et les détails minutieux des mouvements de chaque corps, l’œil furette, organise sa focale pour capter cette pièce d’ensemble avant de redescendre sur le détail d’un poignet qui se relâche, d’une épaule qui frétille, d’une cheville qui pivote.
Douze danseurs sur le plateau, et on dirait qu’ils sont bien plus nombreux… Je me prends à les compter… Oui, ils sont bien douze, seulement, et pourtant, on dirait qu’ils sont bien plus nombreux, le double peut-être…Il pourrait en manquer un que cela ne se verrait même pas… Bach résonne « Tout, absolument tout ce que nous voyons doit s’abîmer et disparaître. » La dimension tragique de l’œuvre réside dans ce constat, tout doit disparaître, certes, mais dans le fourmillement de la vie, une disparition pourrait passer inaperçue… Alors ça lutte un peu, les corps traversent des figures, fugaces, de galop, de combat, de danse. Tout est dit dès la première séquence d’ensemble dans laquelle les corps, en fond de scène, tiennent debout tandis que les bras, dessinant une auréole en cinquième position, se relâchent… Un léger abandon… Un « pourquoi tenir ? » qui taraude, mais cela tient, irrépressiblement. La chorégraphie de Dominique Bagouet est à l’image de la vie : une force mécanique, motrice, incessante, inlassable et démesurée : une usine de bonneterie aux bruits métalliques, tricotant les fils de nos existences, en espérant que les Parques prendront leur temps avant de venir les couper.
Catherine Legrand ne travaille pas à cultiver la mémoire mais à faire revivre l’oeuvre : la différence est de taille, un joli pied de nez au temps, fidèle en cela à l’esprit de la pièce pour laquelle Dominique Bagouet écrivait, en 1992 : « Dans cette version de So Schnell j’ai sans doute insisté plus encore sur l’expression d’une énergie contraire à tout prix, qui s’opposerait au temps, ferait vibrer les sens, dirait la joie presque subversive de danser sans donner prise, le moins du monde au fatal. Pour renforcer cette idée de jeu, d’énergie têtue, j’ai pour la première fois puisé dans mon répertoire dont certaines danses ainsi revisitées et citées, deviennent des sortes de rengaines, chansons. Ce sont elles qui portent ce sentiment de fausse insouciance derrière lequel se cache la peur, la danse devenant alors une fuite rapide – So Schnell, si vite – qui ne veut pas finir. Elle finira bien sûr, mais qu’avant cela au moins l’espace soit envahi de forces qui laissent quelques traces. »
Marie Reverdy

Chorégraphie : Dominique Bagouet — Re-création et direction artistique : Catherine Legrand pour 12 interprètes — Assistant artistique : Dominique Jégou — Assistante à la transmission : Annabelle Pulcini — Avec : Nuno Bizarro, Eve Bouchelot,Yann Cardin, Florence Casanave, Meritxell Checa Esteban, Elodie Cottet, Vincent Dupuy, Elise Ladoué, Théo Le Bruman, Louis Macqueron, Thierry Micouin, Annabelle Pulcini — Lumières : Begoña Garcia Navas — Costumes : Mélanie Clénet — Son : Thomas Poli — Musiques : Jean-Sébastien Bach, Laurent Gachet — Production / Diffusion : Julie Chomard Besserova
Production : Équilibre
Coproduction : Montpellier danse, EPCC La Barcarolle, Arques, CN D Centre national de la danse, Collectif Faire / Centre Chorégraphique national de Rennes et de Bretagne, Les Carnets Bagouet, Le Triangle cité de la danse. La production de So Schnell a été assurée jusqu’en 2020 par Louma.
Avec le soutien du Ministère de la Culture – Drac Bretagne dans le cadre du Plan de Relance 2021, Ministère de la Culture – DGCA, Région Bretagne, Ville de Rennes, Adami.
Accueil en résidence et prêt de studio : Réservoir danse, Rennes, la Ménagerie de verre-Paris.
Spectacle créé dans sa version initiale le 6.12.1990 au Corum de Montpellier.
La recréation a été créée le 19.09.2020 dans le cadre de Montpellier danse.