La Biennale des Arts de La Scène en Méditerranée a ouvert sa deuxième édition le 08 novembre à Montpellier et la terminera le 25 novembre à Sète. Beaucoup de structures partenaires participent à cette Biennale et saisissent, par leur relation, l’occasion de faire territoire sensible. Pendant 3 semaines, l’axe Montpellier-Sète devient propice à l’émulsion artistique. Se côtoient – dans le foisonnement de la création, des échanges, des documentaires et des discussions – des artistes aux disciplines, nationalités et esthétiques variées. Il ne s’agit donc pas de faire de la Méditerranée le lieu d’une identité commune, mais le carrefour d’une rencontre. Plusieurs projets chorégraphiques sont présentés dans le cadre de la Biennale, dont Rrrrright Now de Paola Stella Minni et Konstantinos Rizos au Théâtre de La Vignette, et Poreux de Danya Hammoud, accueilli par l’Atelline au Cinéma Diagonal.
Rrrright Now – Paola Stella Minni et Konstantinos Rizos
Comment rendre compte d’un spectacle sur lequel on a travaillé ? Sûrement pas en donnant un éclairage dramaturgique d’un quelconque propos, mais en partageant l’expérience esthétique qui a accompagné l’œuvre lorsqu’on l’a rencontrée de l’intérieur, pendant les 15 jours passés au Théâtre de La Vignette.

Tout commence par le dernier regard de Johnny Rotten, et par son dernier sourire, à l’issue de la dernière chanson du dernier concert des Sex Pistols. Ce dernier morceau du dernier concert des Sex Pistols à Winterland est une reprise de No Fun du groupe protopunk The Stooges. Tout finit par la genèse donc, et tout commence par la fin, par l’à-côté, et par la dernière phrase que Johnny Rotten prononce ce soir-là, avant de quitter la scène : “Ever get the feeling you’ve been cheated ?” De là s’ouvre la brèche béante des interprétations. Quelques certitudes : ce n’est ni un biopic sur Johnny Rotten, ni sur les Sex Pistols, ni sur le mouvement Punk. Prendre le punk par son effondrement, prendre le punk par l’effondrement du monde, prendre « Rotten » à la lettre, dans la définition de ce nom d’emprunt : “pourri”. Prendre le punk pour ce qu’il révèle en dehors de lui, avant, après, autour, mais sans jamais le montrer. Regarder la lune et non le doigt, et faire de Rotten un prophète, car “il y a quelque chose de pourri au Royaume” disait Shakespeare. Nous ne verrons jamais le phénomène punk, nous ne verrons que son écho. Le punk comme révélateur au sens chimique et photographique du terme. Non pas le punk comme caisse de résonnance du monde, mais le monde comme caisse de résonnance du punk. Il faudra alors trouver les figures du pourrissement en germe dans la grandeur d’un costume, d’un hymne, d’un tableau. Une dramaturgie de la chambre d’écho, de la bifurcation, des attentes déçues. Il ne s’agit donc pas de parler des origines et de l’avenir d’un point punk de l’histoire, mais de parler du devenir qui se loge dans un monde perçu par un regard lucide. Ouvrir le sourire “Rotten’s rotten teeth” pour y exhumer les temps abolis, actualisés sans dessus-dessous, enveloppés sur eux-mêmes en escargot d’escargot d’escargot. Et bien voici l’écueil qu’il nous faut éviter, car “nous ne parlons pas de Rotten, des Sex Pistols ou du mouvement Punk”, et pourtant, jusqu’ici, 9 occurences de Rotten, 4 occurences des Sex Pistols, 12 occurences du mot Punk… On aurait pu jouer à un tout autre jeu, celui de la liste des mots commençant par le préfixe dé- : décision, déstruction, délitement, déliquescence, dérision… On aurait pu parler de la tension en forme de chiasme, entre le tragiquement ridicule et le ridiculement tragique. On aurait pu, également, parler d’hantologie, terme forgé par Derrida pour évoquer le sentiment diffus que la culture contemporaine est hantée par des « futurs perdus », des futurs trahis car délibérément effacés par la postmodernité et le néolibéralisme. Nous aurions pu, alors, prendre acte qu’ “il existe des futurs au-delà de la ligne terminale” (Mark Ficher), et que nous devons chercher dans le passé les reliques des futurs que le présent tente d’assassiner.
Poreux – Danya Hammoud
Dans le cadre de cette biennale, l’Atelline propose un portrait chorégraphique de Reind el Cheikh Ali par Danya Hammoud : un visage paysage, une parole mouvement, une danse qui s’invite dans l’intimité d’un échange hors studio, hors plateau, hors boite noire.

Il est assez courant d’entendre des récits mettant en scène la naissance de l’art : l’enfant musicien.ne qui, très tôt, manifeste son désir d’explorer la sonorité ; l’enfant danseureuse qui, très tôt, bouge son corps expressivement et rythmiquement ; l’enfant auteurice qui, très tôt, raconte des histoires ; l’enfant acteurice qui, très tôt, incarne un personnage ; l’enfant circassien.ne qui, très tôt, marche sur un fil invisible ou tente une acrobatie ; l’enfant plasticien.ne qui, très tôt, dessine, sculpte ou peint. Il est plus rare d’entendre des récits mettant en scène la naissance de la théorie, le récit de l’enfant philosophe de l’art qui manifeste, très tôt, le plaisir de la typologie et/ou de la terminologie. Danya Hammoud interroge Reind, 8 ans. Un parquet, une corbeille de fruit, une carafe d’eau, un cahier grands carreaux ; le portrait de l’enfant théoricienne se précise par le mouvement de la partition chorégraphique qui est transmise, par le système typologique construit, par les traces des notes et schémas sur les feuilles grands carreaux. “A quoi ressemble la vie d’un.e professionnel.le de la danse ? A quoi ressemble le quotidien de celle ou celui qui a fait de la danse son métier ?” Reind répond à l’endroit de la théorie, laissant la danse à l’endroit d’une pratique qui “fait du bien”. Le film favorise les gros plans de cette enfant théoricienne dont la création intellectuelle affleure à la surface du langage et du visage : un regard interrogateur, la jubilation du light bulb, un appétit de catégorisation, la pulsion signifiante. La rationalité, la cristallisation des concepts, l’affirmation, le doute. Méthodiquement, Reind propose une classification des danses selon les critères de l’émotion, de la fonction, des musiques : la danse-défouloir de la colère, la danse-plaisir de la joie, la danse-vide… “Vide de quoi ?” Interroge Danya Hammoud. “Vide de débordement et de musique” répondra Reind, l’exact opposé de l’explosion de joie ou de colère. Dans la sérénité de l’échange, l’impatience de l’enfant se fait sentir : le mot “vide” a du mal à ouvrir ses mystères, comme s’il se devait de rester imperméable pour ne pas devenir “plein”. “Ta danse, à toi, elle est dans la catégorie du vide” dira Reind à Danya Hammoud, suite au mouvement d’un cri silencieux. Ce vide, c’est du silence, et ce silence, c’est celui des émotions vives qui ont cessé leur tumulte. “Et la tendresse ?” demande Danya Hammoud.
Le film a été prolongé par une rencontre toute en délicatesse avec Danya Hammoud, animée par Alix De Morant.
Marie Reverdy
La Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée
Initiée par le Théâtre des 13 vents CDN Montpellier et portée par un ensemble de partenaires culturels à Montpellier et à l’entour, la Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée réunit du 8 au 25 novembre 2023 des artistes et des équipes artistiques travaillant sur les rives de la Méditerranée.
« La Méditerranée peut aujourd’hui, comme à son heure la Palestine pour Mahmoud Darwich, valoir pour nous comme métaphore. C’est un nom sans drapeau. C’est la concentration, à échelle réduite, de tant de frontières et de dialectes, de fractures ouvertes sur les routes du commerce, de la guerre et du tourisme. C’est un espace où des peuples voisins partagent le poids des désastres et la joie des levées. C’est une mythologie, trempée dans la matière historique des luttes. La Méditerranée est une scène où se condensent les enjeux de notre temps. » (N. Garraud & O. Saccomano – Directeurices des 13 vents, CDN de Montpellier)
Les partenaires – Théâtre des 13 vents / ICI—CCN Montpellier Occitanie / ENSAD / L’Atelline / La Bulle Bleue / Théâtre Molière / La Verrerie d’Alès / Théâtre Jean / Le Kiasma / Chai du Terral / Domaine d’O Cité européenne du théâtre / La baignoire / Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie / UNiSONS / La Vignette
Rrrrright Now – La Vignette
Création : Paola Stella Minni et Konstantinos Rizos / Interprétation : Eliot Benoist, Mathieu Ehrlacher, Olivier Muller, Konstantinos Rizos / Composition musicale : Konstantinos Rizos / Collaboration artistique : Olivier Muller / Accompagnement à la dramaturgie et textes : Marie Reverdy / Reflections : Claudia Attimonelli / Lumière : Bartolo Filippone / Vidéo : Léo Vuoso / Costumes : Claudine Renon, COSTUMOTEK / Chargée de production : Varvara Grosheva / Diffusion : Production Sensible / Remerciements : Julian Gypens, Nina Flores, Laurie Bellanca, Cyril Cabirol, Vincenzo Susca, et l’ensemble de la troupe de la Bulle Bleue
Production Futur Immoral / Coproduction et accueil en résidence : La Vignette scène conventionnée, Université Paul-Valéry Montpellier ; La Place de la Danse – CDCN Toulouse Occitanie, dans le cadre du dispositif accueil-studio ; Le Pacifique CDCN, Grenoble ; Théâtre La Vista-La Chapelle par la Ville de Montpellier / Accueil studio 13 Vents CDN de Montpellier ; La Briqueterie CDCN Val-de-Marne ; La Bulle Bleue ; Santarcangelo dei Teatri Italie / Avec le soutien de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC Occitanie), Région Occitanie, La Ville de Montpellier et Montpellier Métropole / En collaboration avec Dialoghi, Residenze delle arti performative a Villa Manin 2022-2024 a cura del CSS Teatro stabile di innovazione del Friuli Venezia Giulia / Projet soutenu dans le cadre du dispositif FONDOC, Fonds de soutien à la création contemporaine en Occitanie / Avec le soutien de La Bulle Bleue
Futur Immoral est une compagnie conventionnée par la DRAC Occitanie / Paola Stella Minni et Konstantinos Rizos sont artistes associé.e.s à La Bulle Bleue de 2022 à 2025
Poreux, Volet 1 – L’Atelline, Le Diagonal
Un film de Danya Hammoud Avec Reind el Cheikh Ali et Danya Hammoud / Image : Camille Lorin / Prise de Son : Julie Rousse / Montage : Danya Hammoud et Camille Lorin / Mixage : David Oppetit / Étalonnage : Marianne Abbes, Studio Lemon, Marseille
Production : L’Heure en Commun / Administration de production : in8 circle • maison de production / Coproduction : La Maison CDCN Uzès Gard Occitanie / Partenaire : Facteur de Ciel, association loi 1901 / Remerciements : Les parents de Reind, Shereen et Fadi, L’usine Détours à Grasse, La famille Lorin, Yasmine Youcef, Carine Doumit
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