Hamlet à l’impératif ! – Olivier Py

Ce mois de mai, dans la cours de l’horloge du CDN de Montpellier, Hamlet était à l’honneur. On pouvait y voir “Hamlet à l’impératif !” d’Olivier Py et “Un Hamlet de moins” de Nathalie Garraud et Olivier Saccomano (lire l’article).

Hamlet est la pièce paradigmatique du théâtre occidental. Inspirée de la Geste des Danois, l’histoire d’Amleth rapportée par Saxo Grammaticus vers 1200, est adaptée au théâtre en 1570 par François de Belleforest qui invente le squelette de l’intrigue que nous connaissons aujourd’hui. Cette version française est elle-même adaptée en anglais en 1594 par Thomas Kyd qui, pour son Ur-Hamlet, invente le personnage du spectre. Shakespeare en publie une première version en 1603 (1er Quarto), puis une version plus étoffée et deux fois plus longue l’année suivante (2ème Quarto), une dernière version paraît en 1623 dans les Œuvres Complètes, quelques années après sa mort. La naissance d’Hamlet est d’emblée celle d’un Hamlet de plus, d’une interprétation de plus, car Hamlet est une intarissable source pour la parole des auteurices, pour l’intelligence des commentateurices, pour les corps et les voix des acteurices.

Hamlet à l’impératif ! – Olivier Py

En 2021, Olivier Py a répondu au désir d’investir le jardin de la bibliothèque Ceccano pour y proposer un feuilleton théâtral en entrée libre et en plein air. Il compose 10 épisodes qui composent la saga Hamlet à l’impératif ! Cette grande aventure a été réalisée avec des amateurices, des étudiant.e.s de l’École Régionale d’Acteurs de Cannes et Marseille, des acteurices avec lesquel.les il a l’habitude de travailler, et deux anciens participants des ateliers du Centre Pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet.

Hamlet à l’impératif – Olivier Py©Christophe-Raynaud-de-Lage/Festival-dAvignon

Le texte, publié chez Actes Sud, a la forme d’une libre discussion entre les personnages à propos des thèmes centraux de la pièce ; un commentaire des commentaires et une mise en résonance avec les questions contemporaines.

Les dix épisodes de cette l’énigme Hamlet sont les suivants :

Épisode 1 : Un Point C’est Tout

Épisode 2 : L’impératif Moral

Épisode 3 : Le Temps Est Anachronique

Épisode 4 : Exercice De Métathéâtralité

Épisode 5 : La Limite Des Mots

Épisode 6 : Procrastination

Épisode 7 : Œdipe Et Gertrude

Épisode 8 : Ophélie Ne S’est Pas Tuée

Épisode 9 : Encore Un Memento Mori

Épisode 10 : La Douleur Suspendue

Le onzième épisode, présenté au théâtre des 13 vents, est une version densifiée de la pièce de Shakespeare, traduite par Olivier Py, reprenant certains des ces commentaires et “commentaires de commentaires”. Pour Olivier Py, il ne s’agit pas seulement, pour cet Hamlet à l’impératif, de présenter Hamlet, mais un « Meta- Hamlet », Hamlet et ses commentateurices, Hamlet et ses conséquences.

Les seuils

Pour Olivier Py, si l’on devait résumer la pièce à une seule question, ce ne serait pas « être ou ne pas être » (qui est, selon lui, “une digression métaphysique dans un océan tragique”), mais bien plutôt « que dois-je faire ? ». “Tu dois !”, c’est la forme de ce que la philosophie morale appelle “l’impératif catégorique” : “Tu dois ! – Pourquoi ? – Parce que !” L’impératif catégorique, c’est le seuil du pensable, le point atomique jusqu’auquel on remonte, sans qu’il soit possible de le justifier : “Tu ne tueras point ! – Pourquoi ? – Parce que !” Parce que nous sommes au seuil au-delà duquel la chose devient impensable, innommable, taboue. C’est la raison pour laquelle le théâtre est, selon Olivier Py, l’horizon du monde humain, une zone capable d’accueillir l’incompréhensible, l’image et la parole mystérieuses, un seuil du représentable qui borde le néant. L’impossibilité du représentable est littéralement hors-scène, ob-scenius… Le théâtre est alors le monde humain par excellence, c’est sûrement la raison pour laquelle Shakespeare fit inscrire cette citation de Pétrone, Totus mundus agit histrionem (Le monde entier est un théâtre), au fronton du théâtre du Globe. Le monde entier est un théâtre que le théâtre représente. Le théâtre représente la possibilité même de la représentation. Le théâtre est le seuil au-delà duquel règne l’impensable, l’irreprésentable, le néant. La “méta-théâtralité” que propose Olivier Py est comme une balade sur la ligne de crête du théâtre qui sépare le monde du néant. “How to act ?” demande la pièce, rappelant que l’on peut traduire cette phrase par le théâtre ou par l’éthique, par “comment jouer ?” ou par “comment agir ?” On s’arrête sur un mot, une traduction, sur “le temps sorti de ses gonds” dont parle la pièce, le temps détraqué, le temps qui “déraille”, pourrait-on dire, le temps “déporté”, commente Derrida…

Hamlet à l’impératif – Olivier Py©Christophe-Raynaud-de-Lage/Festival-dAvignon

Hamlet sur le seuil fait toujours entendre l’Histoire, ce “quelque chose pourri au Royaume du Danemark” qui fait qu’Hamlet se dit “Je dois”, même s’il ne sait trop ni Quoi, ni Comment, ni À quel moment propice. Il se pourrait bien qu’Hamlet doive mais ne veuille pas, qu’il doive et veuille mais ne puisse pas. Il se pourrait qu’il ait peur, qu’il soit tétanisé.

Les fantômes

Olivier Py nous rappelle, dès le début d’Hamlet à L’impératif, que la pièce de Shakespeare s’est écrite avec des fantômes. En 1596, Hamnet Shakespeare, fils de William Shakespeare, meurt à l’âge de 11 ans. En 1601, alors que William Shakespeare est en pleine rédaction de sa pièce Hamlet, son père, John Shakespeare, décède également. La filiation, la transmission du nom, la lignée, l’héritage : tout s’arrête là. Et dans cette pièce de Shakespeare à la structure bancale, la perte et le désordre suintent de toutes parts. La spectralité diaphane et vaporeuse du père condamné à l’errance, au jeûne et au feu, le mariage incestueux de Gertrude avec Claudius, qui maintient et dénature la lignée paternelle, la jalousie d’un frère, la stérilité des amours, la mort, la folie, la mort, la folie, la mort…

Chagrin inconsolable, douleur aigüe, tétanie du deuil, “que dois-je faire ?” est autant une question éthique qu’un cri.

À la fin, il n’y a plus ni père, ni fils, ni descendance. C’est la fin d’une lignée, la fin d’un règne, la fin d’un système politique. Hamlet mourant donne sa voix à Fortinbras pour que celui-ci soit élu roi du Danemark, instaurant ainsi un ordre politique nouveau, l’inclusion du système électif au sein de la monarchie : un temps de l’Histoire remis dans de nouveaux gonds. Il aura fallu apprendre à mourir pour que quelque chose de nouveau puisse enfin advenir. Hamlet se suicide, il suicide sa mère, il suicide Laërte, il suicide Ophélie. Hamlet suicide le monde.

Marie Reverdy

D’après William Shakespeare

Traduction et mise en scène : Olivier Py

Avec : Emilien Diard-Detoeuf, Damien Bigourdan, Céline Chéenne, Bertrand de Roffignac et Julien Jolly (musicien)
Composition, percussion : Julien Jolly
Assistant à la mise en scène : Bertrand de Roffignac, aidé de Julien Masson

Production : Festival d’Avignon
Coproduction : Le Théâtre — Scène nationale de Saint-Nazaire
Avec l’aide du Théâtre du Châtelet
création 2021 dans le cadre du 75e Festival d’Avignon


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